Dans notre pays, les managers représentent environ 6,9 % de l’ensemble des salariés (Statbel 2024). Et nombreux sont ceux qui sont d’abord passés par la case « collègue » avant de prendre une équipe en charge.
Devenir manager n’est pas facile en soi. Quand, en plus, la promotion se passe dans une structure où on a eu l’habitude d’être ami, ça bouscule beaucoup de certitudes.
Ce changement peut être mal perçu, voire mal vécu, tant par la personne promue que par ses anciens pairs. Il pose des enjeux de repositionnement personnel, mais aussi de redéfinition des relations au sein de l’équipe. Le manager issu des rangs doit désormais composer avec des attentes parfois ambivalentes : rester accessible tout en incarnant une fonction de direction. Cette transition nécessite de prendre conscience de la nouvelle image renvoyée aux autres, mais aussi de se délester de certains automatismes d’ « ancien collègue ».
Une situation pas toujours facile comme l’explique Sofie : « Quand j’ai été promue cheffe d’équipe à 29 ans en janvier dernier, j’étais fière mais aussi terrifiée. Du jour au lendemain, je suis passée de collègue à manager de ceux avec qui je partageais des lunchs et des confidences. Certains m’ont félicitée sincèrement, d’autres ont pris leurs distances, voire remis en question ma légitimité. J’ai dû poser un cadre clair, tout en gardant une posture humaine, ce qui n’a pas été simple. J’ai ressenti le syndrome de l’imposteur, me demandant si j’étais à la hauteur. Mais j’ai appris à écouter, à déléguer, à recadrer quand il le fallait. Le plus dur a été de faire le deuil de certaines amitiés professionnelles. Et aussi, de faire face à deux trois collègues masculins qui ont eu beaucoup de mal à voir quelqu’un de plus jeune, femme de surcroît, devenir leur cheffe. Aujourd’hui, je me sens plus solide, plus alignée, même si je reste vigilante à ne pas me perdre dans ce rôle. Être manager, ce n’est pas être au-dessus, c’est être au service de l’équipe. Et ça, je l’ai compris en avançant pas à pas. »
La légitimité du nouveau manager ne va pas toujours de soi, surtout lorsqu’il n’a pas été choisi par ses collègues, mais désigné par la hiérarchie. Les compétences techniques ne suffisent plus ; il s’agit désormais de convaincre par sa posture et sa cohérence de choix que l’on est la bonne personne aux yeux de tous. Le regard des anciens collègues peut être teinté de scepticisme : « Pourquoi lui ? » , « Va-t-il vraiment être à la hauteur ? » , « Est-il encore des nôtres ? ». Pour asseoir sa crédibilité, le nouveau manager doit faire preuve de constance et d’exemplarité. Il ne s’agit pas de changer brusquement d’attitude, mais de construire une relation de confiance basée sur l’écoute, la transparence et la reconnaissance des compétences de chacun.
Le manager ne peut pas imposer son autorité : il doit l’incarner. Faire autorité plutôt qu’être autoritaire. Cela demande du temps, une certaine humilité, et souvent un soutien extérieur, qu’il vienne de mentors, de formations ou des ressources humaines.
1/ Tout d’abord, être empathique et à l’écoute.
2/ Être exemplaire, le manager influence directement la culture d’entreprise par ses gestes.
3/ Rester humble. Obtenir une promotion n’est qu’un échelon d’une échelle beaucoup plus grande. Il reste des milliers de choses à apprendre.
4/ Communiquer et expliquer les décisions prises.
5/ Encourager le développement personnel, par des initiatives de formation, par exemple.
L’un des pièges les plus courants dans ce type de transition est de basculer dans l’un des deux extrêmes : rester trop proche et perdre en autorité, ou au contraire s’éloigner brutalement pour affirmer son rôle. L’enjeu est donc d’instaurer une nouvelle forme de relation, fondée non sur la complicité d’hier, mais sur une confiance professionnelle renouvelée. Le manager doit apprendre à dire non, à fixer un cap, à recadrer si nécessaire — sans pour autant devenir autoritaire ou distant. Ce nouvel équilibre repose essentiellement sur la clarté. Il faut que chacun sache exactement ce qu’il a à faire, les règles du jeu, les attentes, mais aussi le rôle des autres. Parfois, une promotion semble évidente aux yeux de tous. Parfois, c’était moins attendu. Il peut donc être utile de poser un cadre dès le début : exprimer sa volonté de réussir avec l’équipe, reconnaître le changement de posture, et inviter chacun à exprimer ses ressentis. En instaurant un dialogue franc et régulier, le manager renforce sa position sans couper les ponts relationnels. L’équilibre est subtil, mais atteignable.
Le monde du travail, on le sait tous, n’est pas un lieu où tout le monde s’aime. Ce n’est pas le monde des Bisounours. Les promotions internes peuvent cristalliser des tensions latentes au sein d’une équipe. Certains collègues peuvent ressentir de la frustration, de la jalousie, ou encore le sentiment d’injustice s’ils pensaient être plus légitimes ou plus compétents pour obtenir le poste. D’autres peuvent adopter une posture de défiance passive, en testant les limites ou en se repliant dans une forme de distance. Face à ces dynamiques, le manager doit être lucide et avoir le courage de faire face. Ignorer les signaux faibles est risqué. Il convient plutôt de mettre en place un climat de dialogue et de bienveillance, où chacun peut exprimer ses inquiétudes sans crainte de sanction. En parallèle, le manager doit se montrer équitable dans la répartition des tâches et des responsabilités, tout en affirmant son rôle de pilote. La clé est de transformer les tensions en opportunités de clarification : un bon début de mandat peut justement être l’occasion de remettre à plat certaines habitudes ou de lancer une nouvelle dynamique d’équipe.
Il arrive que malgré la bonne volonté du nouveau manager, un positionnement réfléchi, et un accompagnement RH adéquat, la transition de collègue à manager se heurte à des résistances profondes. Un ou plusieurs membres de l’équipe peuvent refuser ouvertement l’autorité de l’ancien pair, contestent systématiquement ses décisions ou sapent son leadership de manière passive-agressive. Dans certains cas, les tensions deviennent si vives qu’elles nuisent au climat de travail, au moral de l’équipe, voire à la performance collective.
Quand la relation est durablement altérée, il est essentiel de ne pas rester seul face à la situation. Le manager ne doit ni fuir l’affrontement, ni s’enliser dans des tentatives de conciliation stériles. Il convient de poser un diagnostic lucide, éventuellement avec l’aide d’un tiers (coach, RH, manager N+1), et d’envisager des actions fermes : recadrage individuel, clarification de rôle, mutation de poste des récalcitrants, voire changement d’équipe si le lien de confiance est irrémédiablement rompu. Toutes les transitions ne réussissent pas, mais celles qui échouent faute de soutien ou de courage décisionnel laissent des traces durables. Reconnaître un blocage, c’est déjà reprendre le contrôle.
Dans tout ce processus de transformation et d’évolution de poste, les ressources humaines jouent un rôle essentiel. Elles peuvent proposer des dispositifs d’accompagnement individualisé : coaching, mentorat, groupes d’échange de pratiques, ou encore des formations spécifiques à la prise de poste. Il est également crucial que la hiérarchie valorise publiquement cette nomination, en affirmant son soutien au nouveau manager, ce qui contribue à légitimer sa position. En anticipant les difficultés, en outillant les nouveaux managers, et en étant disponibles en cas de crise, les RH ne se contentent pas de gérer une transition : ils contribuent activement à sa réussite. Dans une logique de fidélisation et de développement des talents, cet accompagnement est tout sauf accessoire.
On ne va pas se mentir, prendre des responsabilités quand on a été collègues n’est pas facile. Et chaque parcours est, évidemment, différent. Pourtant, il y a quand même une série d’erreurs que certains « nouveaux managers » font quand ils prennent leur fonction. Voici les 7 erreurs à éviter à tout prix.
Dire à ses anciens collègues que la promotion ne changera rien est une erreur fréquente. Cette affirmation est faite pour rassurer tout le monde. Mais elle ne trompe personne. Oui, ça va tout changer. Affirmer le contraire peut même minimiser le nouveau rôle et créer de la confusion. Il est essentiel de reconnaître que la position a évolué et d’établir clairement les nouvelles attentes et responsabilités.
Évitez de douter ouvertement de votre légitimité ou de vous excuser pour votre nomination. Au contraire, affirmez votre rôle en communiquant clairement vos objectifs et en montrant votre engagement envers l’équipe. Et votre enthousiasme.
Continuer à favoriser certaines amitiés peut être perçu comme du favoritisme. Il est crucial de traiter tous les membres de l’équipe de manière équitable et professionnelle, en établissant des limites claires entre les relations personnelles et professionnelles.
Ne pas prendre le temps d’avoir des entretiens individuels avec chaque membre de l’équipe peut entraîner des malentendus. Ces échanges sont essentiels pour comprendre les attentes, les préoccupations et renforcer la confiance. Ils sont à faire dès la prise de poste, et ensuite régulièrement pour s’assurer que tout le monde va dans la même direction.
On l’a déjà écrit plus haut, il ne faut pas être autoritaire, mais faire autorité. Certaines personnes tombent dans des extrêmes en étant soit trop autoritaire (pour marquer sa position), soit trop permissif (pour rester copain). Un bon manager doit adapter son style en fonction des situations et des individus, en combinant fermeté et empathie.
Il est parfois tentant, quand on prend un nouveau poste, de vouloir montrer à tout le monde, et à sa nouvelle équipe, à quel point on dispose de ressources. Tenter de tout contrôler ou de continuer à effectuer ses anciennes tâches peut conduire à l’épuisement et à la démotivation de l’équipe. Il faut, au contraire, démontrer qu’on fait confiance et déléguer efficacement pour responsabiliser ses collaborateurs.
Mettre la poussière sous le tapis marche un temps, pour ne pas se confronter tout de suite à des situations difficiles. Des conversations à avoir, surtout si le sujet est difficile. Ignorer les conflits ou les problèmes de performance peut aggraver la situation.
Bref, comme dans un couple, seule une réelle communication peut maintenir une dynamique positive, et saine 😉
Michels est une figure emblématique du football néerlandais qui incarne parfaitement le parcours du collègue devenu manager.
Après sa carrière de joueur international, il a pris les rênes de l’Ajax d’Amsterdam, le club où il a évolué toute sa vie. Il s’est imposé auprès de ses anciens partenaires en révolutionnant le management du football. On lui doit en effet le concept de « football total ». Cette approche tactique prônait un jeu fluide où chaque joueur, à l’exception du gardien, pouvait occuper différentes positions sur le terrain, favorisant ainsi une occupation optimale de l’espace et une pression constante sur l’adversaire.
Sous sa direction, l’Ajax Amsterdam est devenu une puissance européenne, remportant notamment la Coupe d’Europe des clubs champions en 1971. Michels a dirigé l’équipe nationale des Pays-Bas à plusieurs reprises. Il a mené les Oranje à la finale de la Coupe du monde 1974. En 1988, il a conduit les Pays-Bas à leur premier titre majeur en remportant le Championnat d’Europe des Nations. Surnommé « Le Général » pour sa rigueur et son autorité, Michels a été nommé « Entraîneur du siècle » par la FIFA en 1999 et a été désigné meilleur entraîneur de l’histoire par France Football en 2019. Rinus Michels est décédé le 3 mars 2005 à Alost, en Belgique, laissant derrière lui un héritage indélébile dans le monde du football.
Pour aller plus loin, voici quelques recommandations de livres sur le sujet.
Le management bienveillant – Yves Desjacques & Philippe Rodet
Ce livre met l’accent sur l’importance de la bienveillance dans le management, en particulier lors de la transition de collègue à manager. Il propose des outils pour instaurer un climat de confiance et de respect mutuel.
Dream Team – Ludovic Girodon
Basé sur l’expérience de plus de 400 managers, cet ouvrage fournit des méthodes pour construire une équipe soudée et motivée, en mettant l’accent sur la communication et la confiance.
Managing Friends & Former Peers – Gary Winters
Spécifiquement dédié à la gestion d’anciens collègues, ce livre offre des conseils pour établir de nouvelles dynamiques professionnelles tout en préservant les relations existantes.
Becoming the Boss – Lindsey Pollak
Ce guide aborde la transition vers un rôle de leadership, en mettant l’accent sur la gestion des relations avec d’anciens pairs et la construction d’une autorité respectée.
Selon une enquête menée par le cabinet DDI auprès de 1 130 managers de proximité, seulement 11 % d’entre eux estiment avoir été convenablement préparés à assumer leur rôle de manager. De plus, 57 % déclarent avoir acquis leurs compétences managériales principalement par essai et erreur.